Une approche socialiste et universaliste des questions religieuses

Document publié le 16 juin 2018 au nom d’une plate-forme de socialiste laïcs et universalistes

« Depuis les Lumières, les droits humains forment la base éthique de notre société. A l’irrationalisme et au fondamentalisme religieux, le PS oppose un modèle de société pluraliste dans un Etat laïc partant de la dignité et de la liberté de l’individu et engageant ce dernier à respecter les droits humains. L’Etat et le système public de formation doivent conserver une stricte neutralité envers toutes les religions, renoncer à toute indication quant à la « vraie » foi et interdire tout signe religieux dans les bâtiments publics et dans les écoles. »

Programme du Parti socialiste suisse de 2010

Le socialisme réformiste, social-démocrate, est la patiente et progressive construction d’une société d’émancipation, de liberté, de justice et d’égalité pour toutes les personnes qui la composent. Pour atteindre ce but, pour se rapprocher de cet idéal, la solidarité est doublement fondamentale, comme méthode d’action et comme étalon de mesure. Comme méthode, parce que toute idée, que toute entreprise ne vaut que si elle traduit des aspirations collectives et est porté par lui. Comme étalon, parce qu’aucun des acquis obtenus par le passé ou à obtenir dans l’avenir n’a la moindre valeur s’il ne contribue pas à faire progresser la condition du plus grand nombre.

L’un des présupposés fondamentaux réside dans le postulat que nous sommes tous, au départ, dotés des mêmes droits humains. Nous refusons de considérer intangible ou immuable quelque inégalité que ce soit, et nous nous autorisons donc à contester tout ordre économique, juridique, social ou moral qui justifierait une inégalité essentielle – que celle-ci se fonde sur des considérations liées au physique, au patrimoine, à la religion, à l’identité sexuelle. Le projet socialiste est, par définition, un projet universel, opposé à tout séparatisme, à toute sécession d’un groupe donné hors du cadre commun.

En tant que démocrates, nous souhaitons soumettre les grands mécanismes du fonctionnement de la société à l’intérêt général. Refusant la chimère libérale d’une simple addition d’intérêts particuliers auxquels il s’agirait de laisser libre cours, nous considérons que toute délibération collective vise notamment à définir ce qu’est le bien commun – et que le résultat de ce processus démocratique est la seule loi qui puisse et qui doive s’appliquer à tous. 

Il n’y a pas de place, dans une telle perspective, pour une relativisation des normes communes face à des pratiques fondées religieusement qui seraient incompatibles avec le cadre normatif patiemment construit au fil du temps. La supposée tolérance à adopter face à de telles pratiques serait un renoncement sans précédent à l’idéal consistant à ne laisser personne au bord du chemin, à protéger chacun de l’arbitraire et à favoriser l’émancipation de tous.

Nous prenons acte avec regret du fait que la direction du PS suisse décide d’aborder unilatéralement la question de « l’Islam » et propose une série de positions qui font des musulmans un groupe qui doit être considéré en tant que tel en vertu d’une religion commune –  alors que tout, concrètement, les distingue, les pays et même les continents d’origine, le rapport à la religiosité, les pratiques culturelles, les revendications portées publiquement. Nous ne nions aucunement aux individus le droit d’adhérer à un culte, ni d’ailleurs celui de s’impliquer dans le débat ou dans l’action en mettant en avant sa foi. Nous n’acceptons pas, en revanche, que le débat politique se déroule le long de lignes tracées par les appartenances religieuses, et qui plus est au sein du Parti socialiste. Nous sommes enthousiastes d’aborder la question du lien entre l’Etat, l’ordre juridique et les religions, mais pas en invoquant d’hypothétiques « communautés », entités totalisantes qui font disparaître les particularités de celles et ceux qui les composent. Essentialiser les individus par leur appartenance confessionnelle, c’est déjà assigner une identité à des gens qui, pour partie au moins, ne l’ont jamais demandé. 

L’extrait du programme du Parti socialiste suisse cité en tête trace la voie à suivre. Ainsi:

La vision socialiste est celle d’une société de citoyens libres, égaux et solidaires. La division au nom de différences irréductibles ne peut pas y trouver sa place. Au contraire, ce sont bien des valeurs universelles, applicables à tous, fondant une vision de l’intérêt commun, qui permettent de construire un monde plus juste.

En désaccord avec nombre des positions exposées dans les « Thèses du PS suisse sur le rôle de l’Islam en Suisse » préparées pour la rencontre du 16 juin 2018, nous proposons les 10 principes qui doivent selon nous fonder l’approche socialise des questions religieuses. 

  1. Le PS n’a pas de raison de dévier de la ligne de son programme de 2010 quant à la séparation entre l’Etat et les églises. Il n’a pas à prendre de position générale nationale en faveur de la reconnaissance d’églises ou de communautés de foi avant d’avoir conduit un débat de fond, indépendamment d’une religion ou d’une autre, sur l’opportunité de ce qui serait un profond revirement.
  2. Toutes les religions doivent être traitées à égalité. La meilleure façon de garantir cette égalité réside précisément dans la neutralité, celle du parti, mais aussi celle de l’Etat, vis-à-vis de ces religions. Toute autre approche pose des problèmes quasiment insolubles de fixation de limites, de critères et de procédures qu’il n’appartient pas au PS de résoudre au niveau national.
  3. Prendre position en faveur d’une religion en particulier, ici de l’Islam, n’est que reproduire dans un miroir inversé les attitudes détestables de l’extrême droite qui déclare l’ incompatibilité générale d’une foi, sans admettre de nuances, avec les valeurs occidentales. Les deux approches sont également contraires à une conception de la citoyenneté fondée sur les droits humains et l’Etat de droit.
  4. Les socialistes doivent s’engager pour que l’éducation dispensée à chacun permette une remise en question rationnelle et critique de chaque dogme, dans quelque domaine que ce soit. Il n’y a jamais lieu de placer, au nom d’une supposée tolérance, des croyances, des pratiques ou des propos hors du champ du débat public ou hors du champ d’application des lois communes. 
  5. L’idéal d’émancipation et le droit à l’auto-détermination signifient que l’Etat prend toutes les mesures nécessaires pour protéger tous les citoyens contre le risque d’être contraints à adopter des pratiques qu’ils ne souhaitent pas, fussent-elles motivées religieusement. Cette protection concerne tout particulièrement les enfants, dont la capacité à choisir leur identité dans toutes ses dimensions doit être garantie par la transmission d’un sens critique non limité par des interdits de pensée, mais aussi par l’existence de champs de neutralité tels que l’école dans lesquels les marqueurs de différence n’auraient pas droit de cité, dans l’esprit qui était déjà celui de Jean Jaurès : « La démocratie a le devoir d’éduquer l’enfance, et l’enfance a le droit d’être éduquée selon les principes mêmes qui assureront plus tard la liberté humaine. Il n’appartient à personne, ou particulier, ou famille, ou congrégation de s’interposer entre le devoir de la nation et ce droit de l’enfance. »
  6. S’il s’agit, dans la précédente thèse, de préserver une neutralité dans certains espaces, à certains moments, ou dans certaines fonctions, tout en admettant que le port de symboles religieux appartient par ailleurs à l’exercice normal des libertés, il y a lieu d’adopter une autre ligne lorsque des pratiques religieuses sont, en elles-mêmes et pour elles-mêmes, contraire aux principes qui fondent les droits humains. Il en va des mutilations sexuelles infligées aux enfants comme, par exemple, du port de la burqa qui prive de toute existence publique – au sens d’avoir un visage qui se montre aux autres – les femmes qui la portent. L’ancrage législatif d’une telle disposition s’impose et ne saurait en aucun cas être délégitimée par des considérations quantitatives sur le nombre de cas constatés ou non, qui n’est dans bien d’autres domaines politiques, et fort heureusement, jamais vu comme un argument pertinent.
  7. Plus largement, des motivations religieuses ne peuvent jamais justifier une entorse aux droits humains. Si ceux-ci garantissent explicitement la liberté de manifester sa foi, ils indiquent aussi qu’ « aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés qui y sont énoncés. » (art. 30 de la Déclaration universelle des droits de l’homme). La liberté religieuse fondée sur l’article 18 de la Déclaration est donc strictement limitée par l’interdiction de déroger aux autres droits.
  8. L’emploi sans aucune mise en perspective du terme d’islamophobie est tout simplement inadmissible. Il est aujourd’hui utilisé par de nombreux milieux islamistes pour placer sous la même étiquette les personnes qui s’opposent à certaines manifestations ou certaines revendications issues de personnes musulmanes dans le cadre du débat démocratique, et les dangereux racistes qui considère le fait d’être musulman comme un attribut essentiel, souvent assimilé à une appartenance ethnique. Le PS doit donc lutter contre toutes les formes de discriminations de type raciste, et contre l’antisémitisme, par une insistance continue sur l’égalité des êtres humains et par une politique de répression vigoureuse des actes illégaux fondés sur une discrimination.
  9. La radicalisation des discours émanant de branches spécifiques de plusieurs religions est une tendance à l’échelle européenne. Elle a bien souvent deux dimensions : d’une part, un séparatisme qui peut se manifester de manière plus ou moins belliqueuse, du simple retrait de la vie en commun jusqu’au terrorisme ; d’autre part, une intervention toujours plus marquée dans le champ politique au nom des valeurs religieuses. Ces différents traits peuvent être constatés à propos de certaines branches du catholicisme, de la mouvance évangélique ou de l’Islam, mais pas uniquement. Le PS doit lutter contre tous les reculs de l’égalité, et notamment de l’égalité des sexes, qui chercheraient à s’imposer pour des motifs religieux. Il doit s’engager avec vigueur pour des programmes de détection et de désamorçages des radicalisations religieuses – tout en n’oubliant jamais qu’une participation de tous à la vie sociale et au monde du travail demeure la meilleure solution de long terme. 
  10. Il s’agit impérativement pour le PS, à travers ses activités de solidarité internationale mais aussi dans le débat public suisse, d’exprimer un soutien indéfectible à toutes les personnes qui plaident pour une compréhension progressiste des religions. De la même manière, il doit rejeter la collaboration avec les représentants, en Suisse, de mouvements qui agissent de manière contraire aux droits de l’homme et aux valeurs socialistes à l’étranger.