Pour garder le contrôle sur notre électricité

Texte rédigé avec Romain Felli et paru dans 24 heures du 8 décembre 2018

L’œuvre politique de Doris Leuthard est d’une importance historique pour la Suisse. Elle a promu le développement des infrastructures et des transports publics et porté une stratégie énergétique ambitieuse permettant la sortie du nucléaire. Il est d’autant plus regrettable que ce bilan soit assombri par le dernier projet de Mme Leuthard avant son départ: la libéralisation complète du marché de l’électricité, sur le modèle européen. 
Eliminons d’emblée un malentendu : cette ouverture du marché ne va pas faire baisser le prix de l’électricité pour les petits consommateurs que nous sommes tous. Il ne s’agit pas là d’une prédiction pessimiste fondée sur un préjugé idéologique, puisque c’est le Conseil fédéral lui-même qui le précise : dans le marché régulé suisse les prix de l’électricité pour les ménages « sont inférieurs aux prix relevés dans les pays voisins, à savoir l’Allemagne, l’Autriche, la France et l’Italie. »

Rappelons par ailleurs une évidence : l’électricité n’a ni odeur ni saveur. Elle est un produit parfaitement standardisé. Changer de fournisseur ne change rien à la qualité du courant reçu, ou à la fiabilité de l’approvisionnement, qui continuera de dépendre des gestionnaires, locaux et nationaux, du réseau. En fait, le seul choix qui s’ouvrirait au consommateur serait de payer moins pour une électricité plus polluante, ou plus pour du renouvelable…

Or, c’est en prenant des options politiques, légitimées démocratiquement à l’échelle locale, pour l’ensemble des ménages raccordés au réseau, que les municipalités et autres entité publiques mettent en œuvre très concrètement une transition énergétique respectueuse de l’environnement et du climat. La fourniture d’électricité est placée sous la responsabilité d’élus, qui agissent conformément aux demandes exprimées par la population. Le fait de disposer d’un bassin de clients raccordés au même fournisseur offre une sécurité qui permet justement d’investir à la fois dans les nouvelles énergies renouvelables (solaire, éolien, géothermie,…) et de supporter des investissements de très long terme dans l’énergie hydraulique par exemple.

A l’inverse, la libéralisation, en favorisant l’importation de courant allemand produit par des centrales à charbon, aura pour effet de favoriser des sources d’énergie nuisibles pour le climat.

En réalité, cette ouverture n’intervient, sous la pression de grandes entreprises privées et d’une Union européenne convertie à l’ultra-libéralisme, que pour écarter au maximum du marché les distributeurs d’électricité qui sont aujourd’hui en mains publiques, au niveau cantonal ou communal. Elle privera les collectivités de moyens cruciaux pour agir en faveur d’une production plus propre.

Les Suisses ont déjà refusé cette libéralisation en 2002. Les Vaudois l’avaient fait à 68,7%. Aujourd’hui, le Conseil fédéral adopte à nouveau une posture ultra-libérale pourtant rejetée par les populations. Il est temps de stopper cette dangereuse aventure.