Pourquoi interdire la reconnaissance faciale et biométrique

Intervention au Conseil communal de Lausanne le 28 mars 2023

L’actualité du sujet est absolument évidente, et je remercie le bureau d’avoir accédé à la demande de prioriser le traitement de ces initiatives. Nous pourrions être le premier organe délibérant de Suisse à nous prononcer sur cette question sous la forme d’une demande de changement du règlement.

Là où nous ne sommes pas compétents au sens strict – par exemple, s’agissant des pratiques des sociétés dont la Ville détient des participations –, nous pouvons néanmoins donner des orientations politiques fortes. Le cas des CFF, qui sont revenus en arrière sur l’un de leur projet, démontre les vertus du débat public.

J’en viens maintenant au vif du sujet. D’abord, de quoi s’agit-il ? En quoi la vidéosurveillance avec reconnaissance faciale et biométrique se distingue-t-elle de la vidéosurveillance classique ? Eh bien c’est très simple : c’est la même différence qu’entre une pile de classeurs fédéraux contenant des pièces comptables et un tableau Excel dans lequel sont rassemblées les mêmes informations comptables. Si vous avez une pile de classeurs et que vous cherchez quelque chose, il faut d’abord savoir ce que vous cherchez, puis tenter d’approcher la bonne pièce en déterminant quelle est l’année la plus probable, puis la période de l’année, puis à quoi pourrait ressembler le document. Si vous avez un tableau Excel, vous faites une recherche, et instantanément, vous arrivez au bon endroit.

La reconnaissance faciale et biométrique fonctionne de la manière suivante : en repérant de manière automatisée des caractéristiques dites « biométriques » chez une personne, elle peut l’identifier dans le sens que si cette personne apparaît par exemple ensuite dans le champ d’une autre caméra, le système va pour ainsi dire reconnaître tout seul qu’il s’agit de la même personne. Ces données peuvent être stockées et permettre une reconnaissance sur une longue période de temps. Et enfin il est évidemment possible de comparer les profils biométriques ainsi établis avec des bases de données également informatisées, par exemple des photos d’identité ou des images disponibles sur Internet. En un mot, les système de reconnaissance biométrique rendent automatique ce qui présupposait, jusqu’ici, l’exercice d’une volonté humaine : dans la vidéo surveillance classique, il fallait que quelqu’un vous chercher sur des images vidéo préalablement enregistrées ; dans un système avec reconnaissance automatisée, vous êtes en quelque sorte déjà reconnu et déjà recherché avant même que quelqu’un en ait l’idée ou l’envie.

La fondation d’évaluation des technologies de la Confédération, TA-SWISS, résume ainsi : « l’avènement des technologies d’identification de toute personne mettrait un terme à l’anonymat dans les lieux publics ». Or, cet anonymat est la condition d’exercice de bon nombre de libertés, à commencer par celle d’aller et venir. Elle continue en rappelant que les données biométriques sont sensibles et méritent donc une protection particulière. Dans sa conclusion, ce rapport appelle à une grande réserve, et notamment à prohiber, dans l’espace public, les « dispositifs techniques discrets qui permettent de surveiller des tierces personnes à leur insu grâce à la reconnaissance faciale ».

Je crois que j’ai exposé le cœur du problème : cette technologie est particulièrement invasive. Nous ne devons surtout pas faire l’erreur de la laisser se déployer de manière progressive et irréfléchie, pour nous retrouver ensuite devant le fait accompli de son omniprésence. C’est, fondamentalement, le but des trois initiatives que j’ai déposées et qui vous sont aujourd’hui soumises : pour le projet de modification du règlement sur la vidéosurveillance, qui règlemente ce qui se passe sur l’espace public, il s’agit d’interdire le recours à ces technologies ; pour le projet de modification du règlement sur la police, il s’agit de préciser que l’identification des personnes n’a pas lieu avec des systèmes algorithmiques de reconnaissance biométrique – une demande particulièrement importante dans la mesure où, en Suisse, des polices reconnaissent utiliser des logiciels de reconnaissance faciale tandis que des juristes de renom la considèrent illégale – ; pour le postulat, il s’agit de demander à la Municipalité de développer une approche cohérente dans l’ensemble des entreprises et infrastructures sur lesquelles elle a une influence, on pense notamment au sport ou aux transports publics.

J’aimerais terminer avec quelques arguments supplémentaires :

En conclusion, je vous invite à renvoyer d’un bloc ces trois initiatives à la Municipalité et à affirmer ainsi que le rôle des autorités est de protéger les citoyens contre la surveillance numérique excessive plutôt que de la pratiquer, d’éviter de prélever les données qui ne doivent pas absolument l’être, de protéger le droit à aller et venir et à se rassembler librement et anonymement.