Prix justes pour les paysans : une nécessité

Opinion parue dans 24 heures du 28 avril 2023

Nous sommes très fortement dépendants, y compris pour notre alimentation, de chaînes d’approvisionnement mondiales, longues, complexes. La pandémie, puis le contexte de la guerre en Ukraine, nous l’ont rappelé. Dernièrement, le groupe international d’experts sur le climat alertait sur la baisse de la production céréalière due à la surexploitation des sols. Les pays qui nous vendent aujourd’hui du blé, du riz ou du soja pourraient réduire de manière importante leurs exportations au cours des décennies à venir.

Et pourtant, depuis le principe de la « sécurité alimentaire » n’est-il pas inscrit dans la Constitution ? La prise de conscience est brutale : ce qui augmente, c’est l’insécurité alimentaire ! Le taux d’auto-approvisionnement, la part de notre alimentation qui est produite dans le pays, suit une baisse continue : il n’est plus que de 55 %, contre encore près de 65 % il y a trente ans. 

Dans l’agriculture suisse, le mouvement de concentration et d’industrialisation se poursuit. Le nombre d’exploitations diminue tandis que leur taille augmente. Les producteurs se concentrent sur certains produits, les plus rentables. La paysannerie familiale, dans des fermes de taille raisonnable, est devenue économiquement intenable. Le nombre de fermes laitières s’est réduit de plus d’une moitié depuis 2003 !

Au cœur du problème, on trouve l’énorme pression sur les prix exercée par les distributeurs. On parler souvent de l’oligopole des grands acteurs de la distribution. S’y ajoute une intégration verticale très prononcée en Suisse : les géants orange disposent de leurs propres structures d’achat et de transformation. Et donc d’un pouvoir presque absolu sur les paysans.

L’exemple du marché laitier est frappant. Les distributeurs utilisent leur pouvoir de marché pour maintenir des prix très bas, qui ne couvrent de loin pas les coûts de production. En même temps, ils engrangent des marges choquantes : un fromage bio peut être vendu en magasin le double du prix payé au producteur…

Et les géants orange travaillent à renforcer encore le rapport de force en leur faveur. Un exemple : il y a une année, la Migros retirait de ses rayonnages le lait équitable (garantissant 1.- / litre aux producteurs). Plus récemment, elle entrait au capital de Cremo, précipitant la fermeture du site de Lucens au profit des sites existants de sa filiale, ELSA.

Et pendant ce temps, ce sont les paiements directs aux paysans qui doivent couvrir un peu de ce que le prix de vente des produits ne finance pas. Autrement dit, les marges des distributeurs sont payées par les paysans et leurs faibles rémunérations, par les consommateurs – et par les contribuables.

Ces dernières années, le pouvoir des distributeurs s’est accru. Laissé en roue libre par la majorité à Berne, le système affaiblit les paysans de Suisse et fragilise notre agriculture. Si nous voulons envisager sérieusement la relocalisation, alors rémunérer correctement le travail de la terre n’est pas un luxe de pays riche. C’est un préalable pour un avenir durable.