Benoît Gaillard sort de l’ombre et prend la route pour Berne

Article paru dans Le Matin Dimanche du 2 juillet 2023

Politique fédérale Tombé jeune dans la politique, époux d’une ministre cantonale, il est, à 37 ans, candidat au Conseil national après un parcours politique déjà important. Christophe Passer

Il est à l’heure. Ce n’est pas la première fois que l’on se fait la remarque de sa ponctualité. Une sorte de méthode, de goût pour l’efficacité et la politique dont il semble savoir qu’elle se joue aussi sur les détails horaires. Benoît Gaillard a toujours un vague air d’enfant qui veut qu’on le prenne au sérieux. Une fraîcheur, et une vitesse aussi, peut-être parce qu’il sortait à peine de l’adolescence lorsqu’il s’est inscrit au Parti socialiste, revenant d’une année d’étude en Allemagne. «Cela avait été là-bas une période électorale forte, un moment très politique, avec le chancelier Schroeder qui avait perdu en étant le chantre d’une social-démocratie qui montrait ses limites. Je me disais qu’il fallait s’engager pour espérer changer des choses.»

Revenant en Suisse en 2005, il a 20 ans et s’inscrit au Parti socialiste. «J’ai toujours aimé le collectif. Faire partie d’une équipe, l’agrandir pour mettre un peu de pression. Déjà au gymnase, je faisais partie de ceux qui souhaitaient organiser la classe pour demander quelque chose, signaler l’attitude d’un prof qui ne nous plaisait pas, etc.». Scolarité dans le nord de Lausanne, quartiers populaires, puis études jusqu’à un master en philosophie, français et allemand. Maman enseignante et syndicaliste, dont il porte le nom depuis toujours parce que ses parents n’étaient pas mariés. Son père, c’est Michel Zendali, fameux journaliste, passé aussi bien par les quotidiens ou magazines que par la radio ou la Télévision suisse romande. Évidemment, on lui pose la question de l’influence. «Avant même la politique, ce qui était présent à la maison, c’était les médias, les journaux, le TJ, les quotidiens, tout ce qui concerne l’actualité. C’est plutôt à partir de là que l’on discutait.» Du talent paternel façon gouaille, accompagné d’un sens du débat et d’une pincée d’insolence, il dit avoir d’abord hérité d’une capacité à entendre les arguments de l’autre, d’une envie de dialogue sincère, afin de savoir sur quoi on est d’accord et sur quelles thématiques l’on diverge pour de bon. «De temps en temps, bien sûr, ça finissait en élevant la voix. Mais pas si souvent, en fait.»

À l’aise avec les médias

Il lui en reste une façon immédiate et fluide d’être à l’aise en public ou lorsqu’on lui tend micros et tribunes (Gaillard est par exemple l’un des contributeurs au «Cercle du Matin Dimanche»). Depuis une quinzaine d’années et des fonctions diverses (secrétaire du PS lausannois, puis président, membre entre 2012 et 2018 de l’état-major de la conseillère d’État Nuria Gorrite, responsable de la communication de l’Union syndicale suisse dirigée par Pierre-Yves Maillard, député au législatif de la ville de Lausanne, président du conseil d’administration de la Compagnie générale de navigation) il a développé des attitudes de stratège et une réputation de Machiavel politique brillant et parfois cassant. «Ce que je crois surtout, c’est que je bosse autant que je peux. Que ce soit pour déposer un postulat ou conseiller un élu, je m’informe, je lis, je réfléchis, je cherche à comprendre par quel biais mes adversaires chercheront à me contrer, afin de pouvoir les contrer moi-même.»

Depuis dix ans, il a développé un réseau bien à lui, il est aussi devenu une «source» de nombreux gens de presse, et il ne se passe guère de semaine sans qu’un journaliste ne le consulte pour un avis ou pour du «off»: l’homme parle plutôt cash, connaît ses dossiers, et le dessous de jeux de cartes dont il aime souligner nuances et complexités. Ce qui lui vaut, verso obligé d’un recto brillant, une vague réputation d’arrogance, qu’il conteste. «J’aime argumenter, même de façon abrasive, avec, pourquoi pas, une pique de temps en temps. Mais si j’ai compris une chose lorsque je suis entré au PS, c’est qu’il faut considérer le fait d’être membre d’un parti comme une formation. Il n’y a pas de meilleur endroit pour comprendre comment ça marche, quels sont les rapports de force internes ou électoraux, la façon dont les institutions fonctionnent, les enjeux, la manière de faire avancer une proposition. Au début, je brassais beaucoup d’idées. Je suis passé peu à peu des postures de principes, parfois trop idéologiques, à plus de pragmatisme.» Il souligne aussi un respect pour l’expérience de ses aînés: «Écouter des anciens élus évoquer leur expérience, ça m’a beaucoup appris.»

Une épouse conseillère d’État

Son statut aux limites de «l’homme de l’ombre», fin dans l’analyse, impitoyable dans la vacherie envers ses adversaires, a fait de lui un jeune politicien peut-être mieux connu des médias que du grand public. Cela aussi pour une raison plus prosaïque: Benoît Gaillard est le mari de Rebecca Ruiz, conseillère d’État en charge de la santé des Vaudois. Ils ont deux filles, âgées de 10 et 6 ans.

«Quand je suis entré au Parti socialiste, Rebecca dirigeait le PS lausannois. Eh non, ça n’a pas été l’amour au premier regard», rit-il. Il devient plus tard secrétaire général, elle et lui s’entendent comme stratèges en foire, leur complicité d’évidence les transforme en couple. «La plupart des gens se rencontrent au boulot, non? Il était clair qu’on avait en commun cette passion politique, la volonté d’avancer, et on se marrait bien ensemble.» Leur engagement génère cependant des vies qui laissent peu de place à autre chose. «J’ai succédé à Rebecca à la tête du PS lausannois puis, en 2014, elle est devenue conseillère nationale. Cela nécessita une certaine organisation, mais entre les sessions parlementaires à Berne, cela reste souple, en réalité.»

Ce n’est que lorsque Pierre-Yves Maillard quitte le gouvernement vaudois et que Rebecca Ruiz est pressentie pour lui succéder au Conseil d’État qu’ils ont véritablement parlé «répartition des tâches»: «Ça ne me posait aucun problème de m’occuper davantage des enfants durant quelques années, d’agir un peu plus en coulisses. Et puis nous avons aussi discuté avec nos familles, nos parents, qui étaient d’accord pour participer aussi à cette mise en place.» Au printemps 2019, Rebecca Ruiz devient ministre du canton de Vaud.

Papa moderne

On a ainsi croisé souvent, dans Lausanne, entre ses activités de politique locale, souvent centrée sur le dossier défense des locataires, où il s’est montré opiniâtre et connaisseur, Benoît Gaillard en papa très moderne s’occupant de ses deux petites filles. Il adore faire la cuisine, vante ses raviolis maison, partage avec son épouse un goût fort pour les soirées entre copains, à refaire la vie.

Qu’espère-t-il apporter à Berne, maintenant qu’il est candidat au Conseil national, élection prévue cet automne, sur une liste PS emmenée par la puissante locomotive Maillard? «Je crois qu’il faut penser un monde post-mondialisé, si l’on doit dire ça vite. Et aussi mieux répartir la croissance et ses fruits. Pour moi, ce ne sont pas des théories générales, mais la base d’une politique concrète, proche des préoccupations des gens: le logement, vivre ensemble, avoir confiance dans l’avenir pour ses enfants. Et cela ne concerne pas seulement les populations les plus précaires, mais aussi une classe moyenne qui se dit de plus en plus qu’elle n’obtient pas grand-chose, alors qu’elle se lève tôt pour aller au travail.» Il donne une paradoxale impression de jeunesse additionnée d’une longue expérience politique. Il a les atouts pour devenir une figure socialiste au parlement suisse. «Il ne faut pas non plus briguer trop tôt les postes. J’ai des camarades en Suisse alémanique qui ont le même âge que moi, et qui se retrouvent déjà à demander des dérogations au parti pour être candidat à un nouveau mandat», sourit-il. Benoît Gaillard a 37 ans. Il est à l’heure.