Le musée vivant et le patrimoine en action

Discours prononcé au vernissage de l’exposition « Que reste-t-il de nos bateaux » au Musée du Léman, à Nyon

Mesdames et Messieurs,

C’est un plaisir et surtout un honneur de m’exprimer aujourd’hui devant vous à l’occasion du vernissage de cette nouvelle exposition du Musée du Léman. Vous y découvrirez des pièces uniques et étonnantes, vous y parcourrez un patrimoine riche, reflet de l’histoire commerciale, touristique et industrielle du Léman et plus largement de la Suisse. En effet, lorsqu’il y a très exactement 200 ans, le Guillaume-Tell s’élance sur le Léman, les perspectives offertes par la navigation à vapeur qu’il inaugure sur les lacs suisses sont enthousiasmantes. On se promet notamment du bateau des temps de parcours nettement réduits par rapport à ce qui était alors l’option la plus rapide, à savoir la diligence sur des routes à l’état variable. Mais rapidement, la fonction de transport de personnes, de transport public dirait-on aujourd’hui, s’efface de fait devant une nouvelle concurrence, celle du chemin de fer, qui s’impose par sa célérité mais aussi, car ces problèmes occupaient déjà nos aïeux, par son efficience énergétique. C’est d’ailleurs ce qui fait que, 50 ans après la mise en circulation du premier vapeur, nombre de compagnies fondées entre-temps par d’audacieux investisseurs sont menacées par la faillite. Voilà le contexte dans lequel est né la CGN qui célèbre, elle, 200 – 50, ses 150 ans cette année. Elle saura prendre, alors, le tournant du de la navigation d’agrément, mais comme je l’ai dit, la navigation sur le Léman aura aussi contribué, au XIXe siècle, à faire naître dans tout le pays une industrie des machines dont, si certains d’entre eux ont malheureusement disparu, plusieurs fleurons perdurent encore aujourd’hui. Suivront, comme on sait, la Belle Epoque et le réel démarrage du tourisme international au début du XXe siècle. Et puis, au cours des décennies suivantes, la CGN a connu des fortunes diverses, certains de ses très beaux bâtiments ont disparu, et à quelques reprises la société elle-même n’a pas été loin de connaître le même sort. De la même manière, la protection des bateaux historiques n’a pas toujours été une évidence, loin s’en faut. De la fin de années 1990 où l’on s’interrogeait sur l’utilité d’en conserver plus que deux ou trois, à aujourd’hui où la flotte est placée sous la protection de la législation fédérale et que la CGN réfléchit à la manière de faire à nouveau naviguer l’Helvétie, l’évolution est spectaculaire. 

Ce qui nous amène à la question qui sert de titre à l’exposition, Que reste-t-il de nos bateaux ? A cette interrogation formulée pour attirer l’attention et attiser la curiosité, j’ai évidemment d’abord envie de répondre, si vous me permettez, Monsieur le conservateur : déjà, il reste des bateaux, et pas que dans les musées ! Et je suis convaincu que c’est le dialogue entre le patrimoine conservé ici, dans un cadre muséal, et le patrimoine qui circule là-bas, dehors, sur le lac, qui rend une exposition comme celle-ci aussi passionnante.

Je le disais : conserver ce patrimoine nous semble aujourd’hui une évidence, mais il n’en a pas toujours été ainsi, loin s’en faut. Tout comme on a commis au nom d’un modernisme mal compris quelques grandes erreurs urbanistiques, je le disais, on a pu croire un temps que conserver un ou deux bateaux historiques comme des pièces de musée serait un tribut suffisant à la Belle Epoque qui les a vus naître. Heureusement, une nouvelle compréhension du patrimoine s’est substituée à l’ancienne : nos bâtiments de la Belle Epoque ne sont précisément pas que des pièces de musée que l’on contemple, ils sont des bateaux qui naviguent. Et leur conservation perpétue donc également une pratique culturelle, celle du tourisme lacustre, elle perpétue les métiers, certains d’art, d’autres plutôt de force, nécessaires à leur exploitation. Ils allient donc patrimoine matériel et immatériel. Et il en va de même pour le magnifique musée du Léman, et pour cette exposition : je gage que son succès viendra du fait qu’elle met en lumière des aspects oubliés d’une activité, la navigation lacustre, qui, elle, se perpétue. Nul besoin, ici, de techniques à la mode ou de casques hi-tech : la réalité augmentée est juste de l’autre côté du quai, sur le lac ! On peut s’imaginer la chaise sculptée, la figure de proue ou le transmetteur en position sans grand effort. Le musée vivant et le patrimoine en action font la paire pour nous projeter de quelques décennies ou même de plus d’un siècle en arrière.

Mesdames et Messieurs, je conclurai en disant que les retours aux racines ne se font pas que dans les musées, ni uniquement dans les bateaux historiques. La CGN, aujourd’hui, en plus de son activité de conservation, retourne aussi aux sources en développant l’activité historiquement la plus ancienne de la navigation lacustre, le transport de personnes. Et là encore, nous le faisons avec l’industrie suisse, puisque nos nouveaux bateaux sont construits par une entreprise lucernoise. 200 ans après le premier vapeur sur le Léman, nous avons l’ambition de définir un nouveau standard de qualité, en refaisant du lac une infrastructure de transport centrale pour toute une région. Et qui sait, c’est peut-être des pièces ou des maquetes de nos nouveaux bateaux hybrides de transport public que l’on trouvera, dans 100 ou 150 ans, ici, au Musée du Léman. C’est tout le mal que je nous souhaite, et que je souaite au Musée du Léman. Merci au musée et à ses soutiens pour cette magnifique exposition, merci pour ce beau cadeau, en quelque sorte, pour nos 150 ans, et bonne visite à tous.