Tenir la bride aux banques
Tribune parue dans Le Matin dimanche du 26 janvier 2025
En 15 ans, les deux plus grandes banques de Suisse auront dû être sauvées par une intervention de l’Etat. En 2009, il avait fallu racheter 68 milliards d’actifs hautement spéculatifs à l’UBS pour éviter sa faillite. En 2023, 259 milliards de liquidités ont été mis à disposition du Credit Suisse pour éviter sa chute rapide et permettre ainsi son acquisition par UBS.
Fool me once, shame on you; fool me twice, shame on me (si tu me trompes une fois, tu devrais avoir honte, si tu me trompes deux fois, c’est moi qui devrais avoir honte): cette expression anglo-saxonne résume bien la nécessité de tirer un bilan sérieux de quinze ans d’histoire financière de la Suisse – et de la manière nous tenons la bride au secteur bancaire, qui a joui jusqu’ici de grandes latitudes. Quelques chiffres l’illustrent bien : entre 2012 et 2022, le Credit Suisse a cumulé 34 milliards de déficits et payé 15 milliards d’amendes. Sur la même période, il a versé 40 milliards de bonus à ses dirigeants… Face à cela, le gendarme suisse des marchés financiers, la FINMA, s’est trouvé bien impuissant. Une faiblesse voulue par les autorités fédérales sous la pression du lobby bancaire.
Il était absolument nécessaire de préserver le système financier et donc en fin de compte l’économie réelle – les entreprises productives et les emplois – d’une catastrophe. Cependant, la situation qui en découle est problématique à plus d’un titre. La nouvelle super-UBS, ayant absorbé le Credit Suisse, est d’une taille qui pose des risques encore supérieurs, tandis que ses dirigeants peuvent en toute logique se reposer sur le fait qu’ils seront à nouveau sauvés en cas de crise, quelle qu’en soit la cause… De plus, l’UBS occupe désormais une position dominante sur de nombreux segments du marché suisse, en particulier dans les prestations et prêts aux entreprises. Il ne se trouve pas d’économiste pour juger positif un tel quasi-monopole privé !
Ne rien changer sous prétexte que la crise a été surmontée serait se tromper lourdement. La garantie dont bénéficie l’UBS de fait de la part de la Confédération suisse et donc de sa population s’apparente à une assurance casco complète. Selon le Conseil fédéral, elle vaut entre 5 et 45 milliards de francs. L’UBS doit donc se doter de davantage de fonds propres pour faire face davantage elle-même à des problèmes futurs et donc réduire le risque, mais aussi rémunérer cette couverture par le paiement d’une forme de prime à la Confédération et donc à nous tous.
Quant aux systèmes de bonus qui ont pris des proportions délirantes sans réelle contrepartie en termes de responsabilité, il faut aussi enfin les limiter et pourquoi pas différer leur paiement dans le temps, ce qui permettrait de s’assurer que la performance qu’une prime récompense ne soit pas en réalité une bombe à retardement. Ensuite, la surveillance doit être renforcée: il faut que la FINMA dispose du pouvoir d’infliger des amendes dissuasives et d’exiger des mesures lorsque les organes d’une banque ne prennent pas la mesure d’une situation de crise. Enfin, il faudra surveiller de très près les pratiques commerciales en Suisse de l’UBS, et imposer si nécessaire un découpage de la nouvelle banque pour recréer un semblant de concurrence. A défaut, les entreprises suisses d’une certaine taille paieront, elles, leurs emprunts plus chers en raison de l’absence de concurrence.
Fool me three times, shame on both of us (si tu me trompes une troisième fois, nous devrions les deux avoir honte). S’il reste impossible d’exclure que la Suisse doive à nouveau remettre à flot une banque systémique, donnons-tous les moyens d’éviter d’avoir et le sauvetage et le déshonneur.