C’est officiel, votre loyer est trop cher
Tribune parue dans Le Matin dimanche du 15 août 2025
Il y a des faits qu’on ne répète jamais assez. Dans certains régions de Suisse romande comme l’Arc lémanique, les loyers ont doublé en vingt ans. Pratiquement partout en Suisse romande, les prix à l’achat ont pris 80 %. Sur la même période, les salaires n’ont progressé que de 35 % environ.
L’étranglement en cours des classes moyennes par le prix du logement est pernicieux. Il fait moins les gros titres que les hausse des primes maladie. Mais il donne à beaucoup de gens qui travaillent l’impression de ne plus avoir vraiment les moyens d’habiter dans leur propre pays.
Nous assistons à un formidable transfert, du pouvoir d’achat des locataires vers les profits des investisseurs immobiliers. Mais saviez-vous qu’une récente étude commandée par l’Office fédéral du logement confirme que l’une des sources du problème est la méthode même de fixation des loyers ? Autrement dit, la loi garantit des bénéfices trop élevés aux propriétaires qui louent.
Comme le savent la majorité des habitants de Suisse, qui sont locataires, le facteur déterminant pour la fixation du loyer est le taux hypothécaire de référence. Il s’agit de la moyenne des taux des prêts hypothécaires en cours en Suisse. Tout propriétaire qui loue un logement a droit à un rendement sur la valeur de son immeuble à la hauteur de ce taux, additionné d’une marge située entre 0.5 % et 2 %.
Sauf que, comme le montre l’étude officielle, ce système autorise des profits trop élevés en raison de sa conception même. Car il compare des pommes et des poires. Explication : le taux de référence fait la moyenne de prêts accordés en majorité à des particuliers. Ceux-ci présentent un certain risque, que l’institut qui octroie le prêt hypothécaire évalue et intègre dans le taux d’intérêt.
Par contre, lorsqu’un fonds immobilier construit des logements, la plupart du temps il n’emprunte pas, il place ses fonds propres. Et si par hasard il contracte un emprunt, il obtient de bien meilleures conditions qu’un ménage privé. Et son argent, il l’investit dans l’un des placements les plus sûrs à long terme : la pierre en Suisse.
Et pourtant, le droit du bail lui garantit un rendement disproportionné par rapport à cette sécurité d’investissement. Alors qu’une une obligation fédérale à 10 ans – considérée très sûre – rapporte 0.8 % (et je ne parle pas de la rémunération de votre compte épargne !), la méthode basée sur le taux hypothécaire de référence garantit un rendement de 2 à 3.5 % sur les fonds investis. Et il ne s’agit là que d’un plancher : il n’est pas rare de voir passer des propositions promettant 5 ou 6 % de rendement net !
Résumons : le logement est investissement sûr, même ultra-sûr, en Suisse, mais le droit actuel autorise à rémunérer les investissements au prix d’un investissement plus risqué. Qui paie la différence ? Les locataires. Et pour être plus précis, surtout ceux qui ont déménagé le plus récemment, donc les jeunes actifs et les familles.
Tout ceci vous surprend peut-être. Bien organisés, le lobby de l’immobilier s’emploie à faire croire que la seule solution à tous les problèmes de logement consiste à en construire davantage. C’est une nécessité évidente – mais ça n’aura pas d’effet sur le niveau de loyers faute de modification du modèle de calcul. Peut-être est-la raison pour laquelle l’étude en question a été publiée sans communiqué de presse un vendredi après-midi…
Cette répartition des richesses à l’envers – des gens qui vivent de leur travail vers les détenteurs de capital immobilier – doit cesser. Il en va de notre contrat social. Il est temps que Guy Parmelin, conseiller fédéral en charge du logement, agisse : modifier le modèle de calcul, et introduire un mécanisme de vérification de la légalité des loyers. Le temps presse.