e-ID: swiss made sinon rien !
Tribune parue dans Le Matin dimanche du 15 août 2025
Prouver son âge ou son identité – pour un achat, une démarche administrative ou un service en ligne – est un geste du quotidien : ce geste est banal. Et pourtant, à l’heure où un nombre croissant d’achats, de prestations ou se contacts ont lieu sur Internet, il n’existe pas en Suisse d’équivalent électronique du document d’identité.
Alors quand il faut s’identifier – par exemple, pour demander un extrait de casier judiciaire, pour conclure un contrat de téléphonie mobile ou pour acheter de l’alcool – on bricole. Qui n’a pas scanné ou photographié son passeport pour ensuite l’envoyer par un simple mail ou le télécharger sur un site Internet plus ou moins digne de confiance ? Résultat : des données personnelles de haute valeur car officielles, sont stockées par des prestataires privés, sans aucune sécurité ni aucun contrôle sur leur utilisation.
Permettre à ses citoyens de confirmer leur identité lorsque c’est nécessaire est une tâche fondamentale que l’Etat doit à ses citoyens. Il est temps qu’il l’exerce dans la sphère numérique également. C’est ce que prévoit le projet d’introduction d’une « E-ID », l’équivalent de la carte d’identité, mais en ligne, projet soumis au vote du peuple en septembre.
L’E-ID offrira un gain de confort, et de sécurité : au lieu de partir sur des serveurs à l’étranger, non soumis à notre législation, nos données de manière décentralisée dans une application pour smartphone mise à disposition par l’Etat. Et l’E-ID garantit les libertés : celle de la demander ou non puisqu’aucune obligation n’est prévue dans la loi, et celle de contrôler quelles données on montre à qui – le magasin en ligne n’a pas besoin, pour vous vendre du vin, de connaître votre date de naissance ou d’avoir votre photo : il lui suffit d’obtenir la garantie que vous avez plus que l’âge légal. Tout ceci sera rendu possible par l’E-ID proposée aujourd’hui.
En 2021, une première variante prévoyait de confier à des acteurs privés l’émission de la carte d’identité électronique suisse ! Vu d’aujourd’hui, ça semble presque absurde : Google, UBS ou TikTok auraient pu, à quelques conditions, devenir en quelque sorte des guichets de l’administration, sans garde-fous quant au profilage et au traçage. Le peuple ne s’y est pas trompé : il a rejeté cette folie à deux tiers des votants.
Cet errement évité, nous avons sur la table le projet d’un service public numérique, au service des gens, de l’intérêt collectif du pays, et pas des profits privés. Mettre en place une E-ID publique, décentralisée et 100 % sans traçage, c’est construire une nouvelle infrastructure essentielle tout en gardant le contrôle sur nos données. Cette carte d’identité swiss made a été développée en Suisse, avec les compétences de pointe en informatique que nos hautes écoles et nos écoles polytechniques savent produire et transmettre, et sera mise en œuvre par la Confédération. C’est une solution de bon sens.
Les tensions géopolitiques du moment nous rappellent que les grandes puissances ne se privent d’aucun moyen pour exercer leur pouvoir, parfois au mépris de toutes les règles. Les géants de la technologie figurent parmi leurs bras armés. Si nous ne voulons nous laisser dominer ni par Trump et ses amis les oligarques des GAFAM, ni par l’autoritarisme chinois et ses plates-formes qui aspirent nos données, alors nous devons impérativement nous doter de nos propres outils numériques, soumis à nos lois et à notre contrôle démocratique. L’E-ID est l’un des premiers pas importants dans ce sens. La soutenir, c’est donc non seulement implanter le service public dans le monde en ligne. C’est aussi renforcer notre souveraineté dans un domaine désormais essentiel.