Un nouveau contrat social urbain

Texte publié dans 24 heures du 21 novembre 2022

En suivant les débats sur la politique de mobilité en ville, on pourrait croire advenu un vrai combat culturel. Vélo, transports publics, voiture ou marche à pied : le choix du mode de déplacement cesse d’être une question pratique pour devenir idéologique et morale, un marqueur identitaire.   

Pourtant, nous savons tous qu’il n’en est rien. La plupart d’entre nous sommes, à tour de rôle, piéton, usager des transports publics, automobiliste ou cycliste. « Un piéton est une personne qui va chercher sa voiture », disait Frédéric Dard. Aujourd’hui, les trains sont aussi pleins de gens qui vont chercher leurs voitures. Et les routes remplies d’automobilistes qui se réjouissent de marcher en ville.

Remettre en cause les contrastes simplistes permet de poser la question centrale, pourtant souvent occultée, celle de la répartition d’une ressource limitée. L’espace, en ville, n’est pas extensible. Il faut donc arbitrer. Faire de la politique. 

Dans ce contexte, faire des promesses maximalistes à tous les modes de transports, comme le demandent les supposés défenseurs de la liberté, est une illusion. Dans une même rue, vouloir à la fois tracer une piste cyclable, élargir le trottoir, créer une voie réservée pour le bus tout en préservant la place des voitures, c’est comme vouloir dépenser quatre fois le même argent. Ça ne marche pas. Et exiger que tout le monde puisse, en tout temps, aller partout en voiture, ce n’est pas faire régner le libre choix. C’est organiser les embouteillages.

Il n’y a aucune raison de diaboliser la voiture, pas plus que d’autres modes de transport. Rappelons-nous simplement que la place de la circulation automobile dans nos villes n’est pas une donnée naturelle. Dans l’entre-deux-guerres, il a fallu l’imposer, souvent contre la volonté des habitants. Dans les années 1960, Lausanne a démonté ses lignes de tramway  pour faire de la place aux voitures, un projet que même les plus raides défenseurs du véhicule individuel ne soutiendraient plus. A l’inverse, les zones piétonnes de Lausanne, décriées par les commerçants lors de leur création, font désormais partie du patrimoine.

Nos débat sur la mobilité en ville méritent donc mieux que des oppositions stériles et moralisantes. Parlons-y de choses concrètes : des enfants qui habitent en ville, et qui rêvent de trottoirs plus larges. Des personnes âgées qui n’ont plus de voiture et comptent sur des bus réguliers et ponctuels. Des cyclistes de demain, qui ont aussi une voiture au garage mais l’y laisseront un peu plus si les pistes sont sécurisées. Des quartiers, souvent populaires, traversés par des routes très fréquentées et trop bruyantes. De celles et ceux qui arrivent en ville en voiture, mais sont prêts à terminer le trajet en transports publics s’ils sont bon marché et fiables. 

Parlons d’un nouveau contrat social urbain. Sans construire des conflits inutiles. Mais en acceptant qu’il faut partager la ville.