Logement : trois mythes, trois idées

Opinion parue dans Le Matin dimanche du 3 septembre 2023

S’il y a une idée reçue tenace en matière de logement, c’est l’affirmation qu’il s’agit d’un marché. Une offre, une demande. Et, sans interférence, un équilibre parfait à terme, avec la bonne quantité de logements à des loyers forcément justes.

En théorie, tout se passe bien. Comme le dit le bon mot, on aimerait pouvoir aller vivre en théorie… Mais la régie immobilière du même nom n’ayant pas encore ouvert ses portes, jetons un œil à la réalité. Et aux mythes qui fondent l’idée de marché du logement.

Mythe 1 : le marché permet d’assurer la construction de logements correspondant aux besoins. Un rapide retour en arrière démontre autre chose : entre 2008 et 2020, l’activité de construction forte a fait remonter le taux de vacance – la proportion de logements inoccupés dans l’ensemble du parc – à un niveau historiquement élevé. Par contre, depuis la sortie de la pandémie, la production de nouveaux logements se réduit, alors que la demande est encore plus solide. En réalité, les investisseurs privés ne construisent pas en fonction des besoins, mais en fonction de la perspective de dégager une rentabilité suffisante, et donc du niveau des taux d’intérêt. C’est leur droit – mais ce n’est pas pareil. 

Mythe 2 : la disponibilité de logements affecte le niveau des loyers. Argument toujours invoqué lorsque les loyers augmentent : c’est parce qu’il n’y a pas assez d’offre… Mais jamais on ne s’étonne que les loyers ne baissent pas quand ils devraient. Par exemple durant la décennie écoulée, quand il y avait plus logements disponibles et des taux d’intérêt plus bas. Les loyers ont au contraire pris l’ascenseur. Curieux marché que celui où l’excès d’offre fait augmenter les prix !

Mythe 3 : si l’on construit moins, c’est la faute aux règlementations en matière d’aménagement du territoire ou d’environnement. Et pourtant, entre le dynamisme des dernières années avant la pandémie et la morosité de l’année 2023, aucune norme n’a été introduite ou durcie. Le bouc émissaire peut être innocenté…

En réalité, le logement ne peut pas fonctionner comme un marché. Les locataires ont un tel besoin de se loger qu’ils ne peuvent pas faire « jouer la concurrence ». Le coût élevé d’un déménagement signifie qu’un contrat est toujours signé pour des années. 

Au lieu de continuer à rêver d’un marché théorique, il serait temps d’essayer quelques idées nouvelles :

Idée 1 : augmenter la part du sol de notre pays qui n’est pas géré dans une logique de profit. Que ce soit par une politique d’acquisition des collectivités publiques, ou par l’action de sociétés sans but lucratif. Comme on l’a vu, l’investissement privé ne peut pas seul répondre aux besoins.

Idée 2 : limiter l’accès des capitaux étrangers à l’immobilier suisse. Jusqu’il y a une vingtaine d’années, les logements en Suisse ne pouvaient pas être achetés par des investisseurs domiciliés hors du pays. Cette interdiction s’étendait même à l’achat d’actions dans des sociétés immobilières. Revenons-y : il n’y a pas besoin, pour assurer l’investissement, de la pression de la finance internationale. Il y a en Suisse des capitaux en suffisance. 

Idée 3 : vérifier le niveau des loyers périodiquement, par des contrôles ponctuels. Ils déploieraient un effet dissuasif même s’ils ne portaient, chaque année, que sur une petite partie du parc. Rendre responsables les locataires, individuellement, de faire valoir leur droit à un loyer conforme à la loi (!) est aussi absurde que d’exiger des travailleurs payés au rabais ou des employés au noir de régler le problème eux-mêmes. Il faut changer de système.

Le logement est un bien de première nécessité trop important pour être laissé à de chimériques mécanismes de marché, qui bétonnent un rapport de force inégal. Sur ce constat, on peut bâtir des solutions justes et des logements abordables.